Oulalalaaaaa ! Le titre pompeux quoi ! Et pourtant, on va bien parler de l’impact de la sémantique dans le monde de la beauté. C’est quelque chose qui me trotte en tête depuis un moment. Je crois qu’il est pertinent de le pondre maintenant. Parce que en beauté, après les images, c’est la langue qui influence. C’est aussi l’expression d’un produit avant même qu’il n’arrive sur votre peau. Finalement, c’est aussi ce qui saura vous convaincre après la première accroche de l’image et du graphisme. La sémantique a donc un poids des plus importants dans votre comportement d’achat en beauté. Quand je vous dis que la beauté n’est pas superficielle ! Allez hop, on y va, rendons la beauté un peu plus intellectuelle qu’elle n’y paraît !
La sémantique :
Selon Wikipedia : « La sémantique est une branche de la linguistique qui étudie les signifiés, ce dont on parle, ce que l’on veut énoncer. Sa branche symétrique, la syntaxe, concerne pour sa part le signifiant, sa forme, sa langue, sa graphie, sa grammaire, etc. ; c’est la forme de l’énoncé. » . Alors, Wikipedia n’est pas LA référence en linguistique mais ma mémoire de mes cours avec Jean-Marie Klinkenberg (mazette, j’aurai réussi à le citer sur un blog beauté celui-là !) – ponte de la linguistique française- , me confirme que c’est fort correct.
Pour faire dans le plus vulgaire (non, pas se mettre à poils, juste expliquer ça avec des mots plus simple) : la sémantique c’est l’étude des sens, de la signification des mots, des signes, de leur contexte, le sens donné au discours mais aussi l’interprétation qui peut en être faite. Il n’y a sans doute pas de cours de sémantique (ou de sémiotique) en marketing et pourtant, les plus grandes marques savent peser et choisir leurs mots et leurs slogans afin que leur message vous « atteigne » au mieux.
Finalement, je suis bien consciente que ça se bagarre entre les termes « sémantique » et « sémiotique » mais on ne va pas rentrer de ce débat. Restons dans nos pots de crèmes et nos lotions siouplaîtbienmerci!
La sémantique en beauté :
En gros, ça sera donc, comme dit plus tôt, tous les slogans ainsi que les explications données pour un produit ou une gamme de produits. C’est le message que voudra faire passer une marque pour mettre en avant ce qu’ils offrent. Pour un produit à base de retinol, le champ lexical (sémantique) couvrira donc : anti-âge, vitamine A, rides, lisses, jeunesse,… On peut avoir plusieurs champs lexicaux qui se croisent et se complètent et croiser donc avec : résultats, performances, miraculeux, impressionnant, rapide… Vous comprenez le truc ? Chaque mot est choisi avec beaucoup de réflexion, aucun ne doit enfoncer la marque. Tout le vocabulaire choisi doit vendre. Parce que c’est bien de vente qu’il s’agit. Votre bien-être aussi… Mais après, faut pas se mentir.
La sémantique et le langage dans le marketing beauté :
Alors d’un simple regard, il me semble qu’il y a deux courants : l’ultra-scientifique et l’ultra-vulgarisé. Ca dépendra vraiment de comment les marques décident d’aborder les produits ou comment les marques se positionnent de façon générale. Mais en soi, ça termine toujours par de la vulgarisation parce que bon, tous les clients (y compris moi !) ne sont pas des petits chimistes en herbes.
Donc d’une part vous aurez des campagnes basées sur le slogan « Le Q10 : nous vous offrons la pointe de la technologie ! » qui ne parle pas à grand monde… Mais du coup, ça vous intrigue, vous avez « à la pointe de la technologie » qui vous titille… Donc vous imaginez des laborantins entièrement dédiés au bien-être de votre peau dans un environnement aseptisé vous préparant des formules innovantes afin de faire disparaître vos rides en un coup de fiole magique.
D’un autre côté vous aurez des campagnes basées sur un slogan « le meilleur de la nature à votre service » . Vous imaginez des druides faire des potions sur base de recettes de grand-mères que vous pourriez aussi reproduire chez vous (mais vous n’avez pas le temps). C’est rassurant, vous comprenez tout et puis si ça vient de la nature, ça doit être tout bénéf’ ! Après quelques incantations, le produit est mis en bouteille (en verre recyclé) et la magie de la nature saura opérer.
Dans les deux cas, j’exagère (ou si peu), mais c’est bien le langage qui contribuera fortement à définir l’identité d’un produit ou même d’une marque.
Pourquoi parler de sémantique en beauté maintenant ?
Parce que nous sommes dans une époque un peu bizarre… Si vous me suivez sur Instagram, vous aurez compris que je ne suis pas vite dupe. Alors que nous sommes dans l’époque la plus évoluée, il semble que les tendances vers l’obscurantisme soient de plus en plus légion (hello les anti-vax !) . C’est contradictoire ? Pas si on observe un peu la sémantique qui se développe autour de nous en fait !
L’attrait du langage dans la vie…
Le langage est le plus beau moyen de communication qui soit, c’est souvent le plus commun mais il est aussi extrêmement complexe. Malheureusement, alors qu’il est généralement inclusif, il peut aussi être exclusif. Quand je vois des ados se mettre à parler dans leur langue d’origine en classe, je fais des bonds. Pour moi, la langue doit absolument être inclusive et n’exclure rien ni personne. Parler à 2 dans une langue que les 20 autres personnes ne connaissent pas, c’est, à 2 personnes seulement, arriver à en exclure 20. Ca a un fameux pouvoir (et puis ils n’ont qu’à parler en anglais dans mon cours d’anglais hehe ! -20 !) ! Et forcément, ça va attirer les autres zozos qui n’ont rien compris. Ca peut être mal compris (insultant) ou ils voudront apprendre.
Ils voudront apprendre mais pour quelle raison ? Réellement apprendre à parler une autre langue ou juste pour acquérir le pouvoir d’exclure aussi à leur tour ? Sans vouloir tomber dans le stéréotype mais bon, des ados… Je vous le donne en 1000, ça ne sera pas pour aller faire du tourisme en Syrie ! Bref, grâce à une exclusion, on a réussi à créer de l’intérêt. Mais est-ce que susciter l’intérêt quel qu’il soit justifie tous les moyens, y compris l’exclusion ?
Le pouvoir du langage en beauté…
Au niveau de la sémantique en beauté, ça fait quelques années que l’on peut observer une exclusion grâce au langage. Les mots « clean » et « sans » sont légion. Et malgré la loi du mois de juillet 2019 interdisant les promotions à coups de « sans parabens, sans silicone, … », c’est un discours encore fort maintenu autant en boutiques que sur des chaînes Youtube ou des articles (presse écrite ou blog, là, pour une fois, ils sont quasi tous les dindons de la farce !). Les mots « phenoxyethanol » ou « conservateurs » font peur tandis que les mots comme « huiles essentielles » rassurent. On exclut donc de plus en plus des marques conventionnelles contenant des conservateurs « non naturels » car ils sont catalogués comme toxiques. Alors que ceux-ci, beaucoup plus que votre tambouille faite maison, sont justement plus légitimes et contrôlés que beaucoup d’autres choses.
Là où le langage exclut et entretient la peur:
On assiste donc là à une tendance langagière qui suscite un intérêt d’exclusion des cosmétiques conventionnelles. Non pas pour améliorer une situation mais pour faire partie du courant d’exclusion car il est une tendance en soi. Comme ces petits élèves qui veulent apprendre la langue des 2 autres d’origine étrangère non pas parce qu’ils s’y intéressent mais pour se sentir « différents ». Or il n’y a aucune richesse dans cette situation et il y a encore moins évolution. Comme pour tout apprentissage de langue, avant de s’attaquer à une langue étrangère, il convient de manipuler sa langue maternelle correctement, d’en connaître les mécanismes et de savoir comment fonctionne une phrase. Ici, la hâte et la peur règnent tellement que tout le monde se rue sur le naturel « plus facile » sans avoir de pré-requis des cosmétiques en soi. Il est plus facile d’avoir peur que d’apprendre…
La faute à qui ?
Ho je ne nierai pas que les marques conventionnelles ont sans doute usé et abusé d’un langage bien souvent trop perfectionné pour le commun des mortels (moi y compris !). L’effort de communication était là mais encore trop faible. Le consommateur n’avait pas grand-chose d’autre comme référence donc il faisait avec et préférait se laisser guider.
C’est là que les marques qui se positionnent comme « clean » ont réussi à acquérir tous ceux qui avançaient dans la brume d’un langage trop scientifique. En amenant leur système de communication au niveau du consommateur, il n’a pas fallu beaucoup pour profiter des masses. Et si le message prétend vous protéger du marketing d’autres marques, autant profiter de la peur pour vous faire sortir le portefeuille, ça marchera mieux que de vous dire que les acides, c’est la vie (parce qu’on est tous marqués par l’acide dans Roger Rabbit mais ça, les scientifiques l’ont oublié).
L’impact de la sémantique en beauté :
Le résultat est là. Accompagné d’une dé-confiance généralisée envers le monde scientifique, les consommateurs n’en sont pas moins victimes d’une stratégie marketing dite « exclusive » (dans le sens contraire d’inclusif bien sûr). Parce que, détrompez-vous, ça n’est pas parce qu’une marque prône le clean qu’elle n’est pas moins sensible aux tendances du marché et à son économie personnelle. Elle a juste su manier la langue bien mieux que les marques conventionnelles ont jamais réussi à le faire jusqu’alors. Elle a su se mettre au niveau du consommateur, là où les marques conventionnelles restaient encore un peu en retrait et « au-dessus de lui ».
Je ne vais pas m’étaler plus sur ce sujet mais pour remettre l’église au milieu du village : les huiles essentielles sont des perturbateurs endocriniens avérés. Mais bon, puisque c’est naturel, cette info passe plus facilement à la trappe. Vous voyez où je veux en venir ? Naturel ou conventionnel, tout est une question d’avoir une distance, un esprit critique et un libre arbitre.
Si vous désirez en savoir plus sur le côté plus technique du sujet, je vous conseille d’ailleurs vivement la lecture de l’article de Bonnie sur la tendance des cosmétiques « non-toxiques ». Elle y aborde le vocabulaire mais aussi le côté scientifique et quelques aspects légaux qui ont leur importance. Son article est d’ailleurs une bonne base et complète le mien à merveille!
La sémantique en beauté, c’est sympa mais n’oublions pas notre cerveau !
Que fait-on alors ? Si on ne peut plus faire confiance aux images sans doute photoshoppées… Et que maintenant on ne peut même plus faire confiance aux mots, où va-t-on ?
Bien sûr que vous pouvez faire confiance à la sémantique et au pouvoir des mots ! Mais c’est à vous d’en avoir conscience. D’où mon envie de pondre cet article… Vous devez avoir conscience que les mots sont aussi là pour vous vendre quelque chose. Alors utilisez-les comme vos alliés. Allez au-delà de 3 adjectifs, lisez ce que les marques expliquent et comment elles le font.
Je suis totalement d’accord que le langage scientifique est des plus opaques. Je suis aussi totalement d’accord avec le fait que certaines marques (bien souvent conventionnelles), ne sachant pas expliquer clairement leur démarche ou les justifier, cachent de mauvais rapport qualité-prix derrière des communications non-vulgarisées.
La fin de l’opacité des marques.
Mais aujourd’hui, grâce notamment à des marques comme Deciem qui ont réussi à rendre plus accessible la science en cosmétique, vous n’avez plus d’excuses. Celles qui en valent la peine (outre Deciem, on peut aussi trouver Paula’s Choice, Gallinée, Cerave,…) savent vulgariser correctement leurs explications et ainsi rendre moins opaques leurs envies et leurs finalités. Green Keratin (ha ! Vous voyez, je ne suis pas contre les marques dites « naturelles » mais bien contre un marketing au message excluant) a d’ailleurs récemment souligné à quel point l’éducation était importante au lieu de suivre aveuglément des postulats étoffés par des études brumeuses. Elles se sont mises au niveau du consommateur mais la nuance est importante : elle ne se base pas sur le dénigrement.
Pensez-vous sincèrement qu’un marketing insinuant de la peur dans votre quotidien soit le meilleur ? Croyez-vous sincèrement qu’un marketing se basant sur le dénigrement d’autres marques concurrentes pense plus à votre santé qu’à sa santé économique ? Etes-vous sincèrement convaincus que dénigrer une pléthore de chercheurs dont le but premier est de pondre des articles scientifiques les plus sérieux possibles (une réputation scientifique ne se fait pas à coups de vocabulaire mais à coups d’hypothèses vérifiées et démontrées PLUSIEURS FOIS) soit réellement efficace sans offrir de solutions entièrement satisfaisantes ?
Et moi ? Comment je m’y retrouve ?
Je ne prétends pas vous donner de solutions. J’ai juste envie de soulever un minimum de questions chez vous afin que vous repreniez un peu de distance parce que s’il y a bien un marketing qui marche du tonnerre pour le moment, c’est bien celui de la peur. Or, je pense que l’histoire nous l’a assez démontré : dans absolument AUCUN domaine humain la peur n’a donné de bons résultats. C’est déjà mon premier postulat.
Concernant la suite, je me fie justement à la sémantique et ce que j’en sais. Quand une marque me fait de l’œil, je l’observe d’abord sur la longueur. Son message est-il clair ? Sait-elle convaincre sans dénigrer quoi que ce soit et ainsi tomber dans la facilité ? Se veut-elle instructive ? Sait-elle informer sans avoir recours à des peurs encore fort populaires (parce que oui, avoir recours à la peur c’est faire du populisme, même en beauté). Si elle semble opaque de prime abord, son site l’est-il ou sait-elle expliquer plus clairement ses procédés et ses choix ?
Des sources fiables:
D’un autre côté, je lis et me renseigne énormément. Des blogs et des chaînes Youtube comme ceux de Dominique, Bonnie, Marie, pour les francophones par exemple. Tous savent faire la part des choses entre le marketing et ce que les produits ont réellement dans le ventre. Tous savent reconnaître une identité réelle d’une marque et l’apprécier lorsqu’elle est professionnelle. Comme on sait parfaitement prendre le bon autant du côté naturel que scientifique de la force (bien que, je vous rappelle que même péter est une réaction chimique alors allez tous vous jeter d’un pont tellement vous n’êtes pas aussi naturels que vous le désiriez ?).
En conclusion:
En bref, accordez de l’importance au langage. Ne soyez pas son esclave, soyez conscients de son existence, de son pouvoir, gardez de la distance et sachez décortiquer les messages qui vont sont envoyés. Si vous ne savez pas lire un INCI, ce n’est pas bien grave dans un premier temps, sachez d’abord choisir les messages qui font sens. Ré-apprenons à lire et à interpréter correctement avant de juger un ingrédient pointé rouge par une application qui fonctionne comme un robot sur une formule qui devrait plutôt être jugée sur son ensemble… C’est une prof de langues qui adore débusquer l’usage abusif de Google Translate qui vous le dit : le mot ne fait pas la phrase !
Petit disclaimer: J’ai fait des photos avec les produits qui me passaient sous la main, ne cherchez pas plus loin…
Du coup, tu sais que ce sont mes photos. Je m’adresse aux journalistes qui ont la fâcheuse tendance à venir se servir ici: tout ce qui est sur mon blog m’appartient et est soumis à MA propriété intellectuelle. Tu es prié de m’envoyer un mail pour voir si je suis d’accord que tu les utilises et dans quelles conditions ou je m’énerverai TRES FORT (encore). Oui, je tutoie les voleurs moi.
Excellent article bravo! J’appelle toujours les allégations « sans » le marketing du vide : si tu parles de ce qu’il n’y a pas dans ton produit, c’est que tu n’as rien à vendre. Le mot ne fait pas la phrase, et je rajouterai : l’ingrédient ne fait pas le produit cosmétique!
Auteur
Merci Marie!!! Ouiiiiii! T’as compris mon petit jeu de mots! Je faisais aussi allusion à l’INCI et la façon dont Yuka (ou beaucoup de gens) fonctionnaient. Ce qui vaut pour le texte vaut aussi pour la formule. Haaaa! Je suis trop contente que tu l’aies repéré :-DDDD
Superbe article et qui donne plein de pistes de réflexions intéressantes sur nos rapports avec les cosmétiques!
Tu as touché juste, il y a une vraie crise de confiance en ce moment, et la peur est un puissant moteur de prise de décision. Clairement, seule la distance et l’observation peuvent nous sortir de ce schéma!
Et ton article aide carrément à en prendre conscience et à se poser les bonnes questions! Bravo!!!
Auteur
Merci beaucoup Bonnie! Bein oui, et la propagande passe beaucoup par le texte et le martèlement. Le focus sur le langage et la force des mots est souvent fait dans d’autres domaines mais pas nécessairement en beauté alors qu’il importe. Ca n’est pas parce que la beauté est « plus superficielle » qu’elle ne doit pas être prise au sérieux. Et j’ai été ravie de lier vers le tien, ça se complète superbement! 🙂
Merci pour cet article complet qui pousse à la réflexion !
Auteur
Avec plaisir! 🙂